Par Jonathan Beaulieu Richard – 9 septembre 2021 (écrit et publié de sa chambre d’hôpital aux soins intensifs)
Je pensais m’être naturellement immunisé à ce genre de nouvelle. J’osais même prétendre que pour moi, ça serait facile, que j’étais et j'avais toujours été … prêt à mourir. Ça reste que lorsque les mots sortent pour la première fois de la bouche du médecin, on pleure à nouveau comme un petit bébé.
Cette masse logée entre mes deux poumons envahissant mon cœur bombardant mes poumons de caillots, rendant la respiration difficile, la métaphore parfaite. Située sous mon œsophage, comme si j’avais trop longtemps ravalé mes émotions négatives. Comme si je m’étais empoisonné.
Pour ceux qui me connaissent un peu, vous serez peut-être attristés, mais ne le soyez pas. Vous voudrez m’envoyer de vos bonnes énergies, me transmettre votre sympathie. Je le dis en tout humilité, ne le faites pas. Ne le faites pas car je n’en ai pas besoin. Gardez vos énergies pour vous, pour vos batailles quotidiennes. Car ceux qui me connaissent vraiment savent que les seules richesses que j’ai cultivées dans ma vie sont l’amour et l’amitié. Et aujourd’hui, j’en récolte les dividendes puisque je suis entouré d’amour. Entouré de «ride or die friends». Je suis comme on dit maintenant au Québec «zaylionnaire». J’ai tout ce qui ne s’achète pas.
Depuis le début de cette pandémie, j’ai la tête qui tourne. Depuis le début, je ravale. Voyez-vous, j’ai au plus profond de moi cette croyance qu’on ne peut pas échapper à la mort… Merci destination ultime 1 ! C’est pourquoi je sursautais toujours quand j’entendais nos politiciens prétendre que leurs actions allaient «sauver des vies». C’était, selon moi, une grave erreur de sémantique. Il aurait été préférable d’utiliser l’expression «acheter du temps». «Acheter du temps», cette expression qui est revenue à quelques reprises dans mes conversations avec les médecins suivant l’annonce de mon cancer, agressif et incurable. Et c’était à leur tour de sursauter lorsqu’ils ont vu mon manque d’intérêt pour la chose.
Bob Marley disait « Money can’t buy life ». Or, en tant que pharmacien, je suis témoin quotidiennement de notre volonté à vouloir s’acheter du temps et la santé. Témoin aussi de ce tourbillon quotidien qu’on appelle la vraie vie et qui nous force à échanger notre temps pour de l’argent, jusqu'à s’en rendre malade. Pour ensuite échanger notre argent contre du temps. Pour moi, tout ça est illogique et insensé et ça l’est depuis trop longtemps. Dans ma courte carrière de politicien, c’était d’ailleurs ce que je voulais faire pour mes concitoyens; leur offrir du temps. Bien loin de ce que l’on vous promet dans cette élection ridicule et non-fondée. On vous balance encore à la figure des milliards par ci, des milliards par là. Des belles promesses qui, comme celle de «sauver des vies», relèvent de la pure spéculation.
Pour un jeune de 32 ans, j’ai étrangement eu beaucoup d’expériences dans le système de santé. Pour cela, je dois remercier le football. Je connais maintenant le système de fond en comble, à la fois comme travailleur mais aussi comme patient. Je sais que vous avez passé le plus gros des derniers 18 mois à tenter de sauver ce dernier mais je dois vous faire un aveu. Il est trop tard. Le cancer est trop avancé. Le corps (lire ici «le système») est bon pour la poubelle mais puisque nous sommes en 2021, je suis certain qu’il pourra être en grande partie recyclé. L’âme, toutefois, si vous agissez rapidement pourra quant à elle, être préservée. Je parle ici des individus qui y travaillent. Ces gens qui se tuent littéralement à la tâche pour qu’au final, les revenus de ce «giga bussiness» se retrouvent dans les mains d’un nombre restreint d’individus. Les mêmes gens qui contrôlent nos médias, nos politiciens et la recherche. Ils vous maintiennent dans un coma induit au divertissement, à la médication et à l’alimentation artificielle.
Pour moi, cette annonce d’un cancer a eu l’effet d’une bombe, mais j’y ai aussi vu une forme de libération. Je pouvais enfin laisser tomber mon masque et m’exprimer librement.
Il ne s’agit pas d’essayer de fuir la mort comme nous l’avons fait dernièrement pour pouvoir la vaincre. Au contraire, il faut plutôt la regarder en face et l'accepter. Plutôt se demander pourquoi serions-nous prêts à mourir et ça, c’est une question que nous aurions dû nous poser dès le début de la pandémie.
Bien évidemment, je vais parler pour moi:
- Je suis prêt à mourir pour que mes enfants aient un futur radieux;
- Je suis prêt à mourir pour l’indépendance de mon peuple;
- Je suis prêt à mourir pour ma patrie, le Québec;
- Je suis prêt à mourir si ça peut aider à sauver notre planète;
- Et je suis prêt à mourir pour plus de justice, d’équité, de partage des ressources.
Ce n’est pas parce que je suis prêt à mourir que je le souhaite pour autant…
Voyez-vous, pendant longtemps, je n'ai eu que moi-même à me soucier sous la direction de nos sociétés individualistes et j’ai su jouer le rôle à merveille. Gonfler mon égo, comme une grenouille qui voulait être aussi grosse que le bœuf. Ce parcours a forgé mon identité jusqu’à ce jour où une jolie demoiselle est venue tout changer. Ce jour où elle m’a annoncé que j’allais être papa. C’est aussi le jour où j’ai appris à me soucier des autres. Me sachant simple mortel, j’ai commencé à me soucier de l'environnement dans lequel cette fleur allait pousser. J’ai alors compris que j’avais passé bien trop de temps sur ma personne en comparaison au temps investi pour ma communauté. J’ai fait bien des tentatives pour essayer de réveiller les autres, souvent avec très peu de succès. Celle-ci sera donc ma tentative ultime, car après, autant pour vous que pour moi, j’ai peur que le temps nous manque…
Plus jeune, je rêvais d’être footballeur professionnel pour être populaire auprès des filles. Je rêvais d’être médecin, pour détenir la connaissance et sûrement un peu aussi le compte en banque. Maintenant, je n’ai qu’un rêve. C’est de devenir une allumette. Cette allumette qui initierait le brasier, le brasier du changement. Ne cherchez pas très loin la raison qui les poussent à vous faire vivre en bulle. Allez voir la démonstration de LDT et ses allumettes, quand les gens se rassemblent, une simple allumette peut en allumer des milliers, des millions et des milliards.
Dans cette vie, mon seul regret c’est de l’avoir passé en belligérant. J’ai adoré les leçons apprises par le sport, sauf cette manie de toujours s’opposer à une autre faction. Les bleus contre les rouges, Montréal contre Québec. Le Québec contre les autres provinces. Les blancs contre les noirs. Les hommes contre les femmes. J’aurai même passé, ce qui pourrait être les derniers mois de ma vie, à combattre un ennemi invisible.
Alors que vous pensiez que nous combattions ce virus, nous combattions plutôt la nature. La nature qui nous a mis au monde. La triste nouvelle est que nous pensons encore à gagner. Pour reprendre les mots d’Hubert Reeves « Nous menons une guerre contre la nature. Si nous la gagnons, nous sommes perdus».
Pour ma part, je dépose les armes. Je n’ai plus le temps ni l’énergie pour rester dans cet état de confrontation perpétuelle. Si collectivement nous voulons changer les choses, il faudra le faire de façon pacifique. Le virus nous a servi cette leçon d’humilité, tout comme les talibans ou les bactéries. Nos opposants mutent, développent des résistances rendant tout cet effort de guerre vain. Les seuls gagnants, bien évidemment, ce sont les vendeurs d’armes. C’est souvent eux qui font perdurer les conflits pour leurs intérêts mercantiles. L’humain est la seule espèce qui valorise le combat et qui choisit d’emblée de s’en prendre à tout ce qu’il ne comprend pas (le film «Arrival» de Denis Villeneuve démontre bien le phénomène).
Je terminerai sur une note plus personnelle et la raison qui ma poussé à écrire ce texte titré «Immortel». Mes enfants.
Ils sont la raison de mon courage face à la mort. Un peu comme un virus, j’ai utilisé un corps autre que le mien, avec consentement bien sûr, pour y répliquer en partie mon ADN. Cet heureux mélange m’a offert des enfants exceptionnels et de surcroît, avec les yeux de leur mère. Si bien que lorsque je quitterai cette terre, je survivrai à travers eux. C’est d’ailleurs pourquoi j’entretiens autant de scepticisme face à notre gestion de la pandémie puisque les plus grands perdants seront et resteront les jeunes. Des jeunes enchaînés à une dette infinie sur une planète aux ressources de plus en plus limitées. Nous avons osé leur voler la ressource la plus précieuse… le TEMPS.
Ils sont toutefois la source de mon optimisme. Ma quête ultime. Je ne peux dire, comme vous tous, combien de temps me reste-t-il, mais pour moi une chose est claire: Je le consacrerai à mes enfants et aux vôtres. Ils sont et resteront notre bien le plus précieux. Il est temps de les traiter comme tel et surtout d’enfin leur offrir un véritable droit de parole.
Le fait de savoir que je pourrais quitter prématurément mes enfants m’attriste au plus haut point. Je peux témoigner longuement de l’importance d’un père présent dans le développement d’un enfant. Ça me rappelle l’eulogie que j’avais prononcé au décès de mon père. Je n’ai pas acquis de grandes possessions au fil de ma vie. Mon lègue sera plutôt sous la forme d’un réseau. Comme une toile d’araignée finement tissée. Quand vous chercherez votre père et que vous ne pourrez le trouver, vous y trouverez ses modèles qui ont fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui. Ces hommes et ces femmes qui pourront vous instruire et vous conseiller sur tout ce dont je n’aurais pu vous apprendre moi-même. Ce lègue est l’une de mes grande fierté. Tous ces gens qui m'entourent sauront, eux aussi, faire vivre ma mémoire éternellement.
C’est maintenant à mon tour de vous parler d’amour. Qui dit amour, dit maman. La seule entité a qui l’on doit réellement la vie. Elles sont l’exemple même du sacrifice et de l’altruisme. Alors que je trouvais un sens à sacrifier mon corps pour un petit ballon brun, elles, donnent un sens au sacrifice du corps et de l’esprit. Le Québec est une mine de diamants bruts. J’y ai trouvé les plus belles femmes du monde, des femmes émancipées, fières et fortes. Surtout, j’y ai trouvé celle qui a bouleversé ma vie. Je me croyais intelligent jusqu’à ce que je comprenne l’étendue de son pouvoir. Cette sensibilité, cette vulnérabilité et cette capacité à bâtir des ponts entre nous et le ciel. Ce ne sont pas mes mots, mais je l’aime à mourir.
À ceux qui apprendront la nouvelle de cette façon, je suis désolé. Il était rendu difficile pour moi de dormir sans laisser une trace, un hymne à la vie, à ma vie.
One love,
Jonathan Beaulieu Richard
Papa, Pharmacien, Politicien indépendant, Joueur de football retraité